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Le Parisien est désordonné ; il est impressionnable comme une femme et dépasse la mesure. Un vaudevilliste meurt, il veut lui élever une statue ; un tableau de Paul Potter est mis en vente, il l’achète cent dix mille francs ; en 1848, il veut faire de Lamartine un dictateur ; en 1849, il n’en veut plus pour député ; il est brave comme un lion, timide comme un lièvre, très-sage et tout à fait fou ; mais il est immuable en ceci : il veut que l’autorité le débarrasse des soucis de la vie, veille incessamment sur son bien-être, sur ses plaisirs, et ôte de sa route ce qui pourrait blesser ses pieds.

Dans son Nouveau Paris, Mercier raconte qu’une cuiller à soupe ayant été volée à une femme, celle-ci disait en parlant de la Convention : « Mais que font donc ces députés ? Voyez s’ils me feront rendre ma cuiller ! » Cette femme-là était une Parisienne, j’en réponds.


II


Pendant une nuit du mois de mars 1844, à l’une des heures les plus lourdes de notre histoire, le prince Schwarzenberg et le général russe Osten-Sacken gravirent la colline Montmartre, et, arrivés au sommet, s’arrêtèrent à contempler la ville immense étendue à leurs pieds. Le Russe, qui portait au cœur le souvenir de Moscou, s’écria : « Enfin, voilà donc Paris, et nous allons pouvoir le brûler !… pour nous venger de la France et pour la punir. — Gardez-vous-en bien alors, reprit Schwarzenberg en montrant de la main le colosse endormi ; gardez-vous-en bien, car voilà le chancre qui la mangera ! »

La prédiction est grave, mais elle n’est point dépourvue d’apparence raisonnable ; avec son insatiable