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les prescriptions les plus minutieuses ont pu trouver place, grâce à l’intelligente activité d’agents toujours sur pied, le problème est résolu : Paris trouve en abondance tout ce qui concourt au développement de sa vie physique et de sa vie intellectuelle. Il peut manger, boire, se promener, se baigner, danser, fumer, aller au spectacle, à l’église, aux bibliothèques, aux musées ; il est enregistré, catalogué, numéroté, surveillé, éclairé, nettoyé, dirigé, soigné, admonesté, arrêté, jugé, emprisonné, enterré ; il n’a qu’à se laisser faire. En revanche, que lui demande-t-on ? De l’argent, le plus qu’on peut. Le Parisien rechigne à payer ; il se fait tirer l’oreille ; il crie bien haut que cela ne peut pas durer longtemps comme ça ; mais il finit par délier les cordons de sa bourse ; car, par-dessus tout, il lui est doux de n’avoir à s’occuper de rien.

Il en est des Parisiens dans Paris comme des Hébreux dans le désert ; ils aiment que la manne leur tombe naturellement du ciel. Ici le ciel, c’est l’autorité. On s’en moque, on l’accuse ; mais à la plus petite mésaventure, c’est vers elle qu’on court : — le pain est mauvais, les eaux de la Seine sont troubles, les voitures marchent mal, les cochers ne sont pas polis, le vin est frelaté, les chiens ne sont pas muselés, les cafés vendent de mauvaise bière ; — autorité, ayez pitié de nous, protégez nous, nous sommes vos enfants. — La litanie est incessante. Dans les années bissextiles, ce miserere dure trois cent soixante-six jours de suite.

Le Parisien est crédule ; en province on dit badaud. Mathieu Marais écrit sérieusement à propos des projets de mariage de Louis XV : « On ne veut pas de l’infante de Portugal, parce que le père est un peu fou. On ne veut point de la princesse de Hesse-Rhinfeld, parce qu’on dit que sa mère accouche alternativement d’une fille et d’un lièvre. »