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LE PRÉSIDENT BONJEAN.

Deux fois on essaya de sauver M. Bonjean. Deux fédérés avaient été arrêtés ; leurs camarades adressèrent à Raoul Rigault une lettre pour obtenir leur mise en liberté. Le recto et le verso de la première page seuls étaient occupes par la supplique ; sur le recto de la page blanche, Rigault écrivit : Ordre de mettre en liberté les deux détenus ci-contre désignés, et envoya ce lever d’écrou au greffe du Dépôt par un planton. L’on vit immédiatement le parti que l’on pourrait tirer de ce mandat mal libellé, où les noms n’étaient pas indiqués, et qui, en fait, constituait un blanc-seing ; il suffisait de faire disparaître le corps même de la lettre et d’écrire deux noms au-dessus de la phrase de Rigault pour justifier une levée d’écrou. On alla trouver M. Bonjean et on lui expliqua qu’il était facile de le faire mettre en liberté. Le prisonnier répondit : « Je ne veux compromettre personne ; mon évasion serait le signal du renvoi de tous les employés du Dépôt et de leur remplacement par des gens dangereux.» Une fatalité singulière empêcha son transfèrement à la Maison municipale de santé, maison Dubois. Un certificat de M. Legrand du Saulle, médecin attaché au Dépôt, avait été présenté à Duval, qui n’en avait tenu compte ; la démarche, renouvelée le lendemain, fut favorablement accueillie : Duval approuva l’autorisation ; mais, préoccupé à son insu du nom populaire de la maison, il signa Dubois au lieu de signer Duval. Au greffe du Dépôt on s’aperçut de l’erreur ; on retourna à la Préfecture, Duval venait de sortir. On s’adressa à Raoul Rigault, qui répondit : « Bonjean restera en prison tant que Blanqui ne signera pas lui-même son ordre d’élargissement ici, sur mon bureau.» Sans ce contre-temps, M. Bonjean aurait peut-être été sauvé, comme fut sauvé le général de Martimprey, qui, écroué au Dépôt le 26 avril, fut transféré le 30 à la maison Dubois.