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criant, gesticulant, se bourrant le nez de tabac, étonnant les novices par sa faconde, presque célèbre dans le quartier des Écoles et très apprécié des filles de bas étage. Demi-étudiant, demi-journaliste, sans courage au travail, sans talent d’écrivain, répétant comme vérités acquises les niaiseries ramassées dans l’Ami du peuple et dans le Père Duchêne, il passait pour fort parce qu’il était grossier, pour énergique parce qu’il était cruel, pour intelligent parce qu’il était hâbleur. Quelques condamnations « obtenues » vers la fin de l’Empire, pour des articles publiés dans une de ces petites feuilles éphémères que l’on appelait alors les journaux « de la rive gauche », lui permirent d’être un peu « martyr » et de rêver vengeance, au nom de ses principes outragés par « les sicaires de la tyrannie ».

Il était le promoteur des minces émeutes du quartier latin, des troubles d’amphithéâtre, racolait des turbulents, et, menaçant du doigt ceux qui refusaient de le suivre, il leur disait « Toi ! j’aurai ta tête. » Il avait inventé un nouveau mode de justice, qu’il appelait « le jugement par les impairs » : les pères eussent été jugés par leurs fils, les gendarmes par les détenus, les officiers par les soldats, les magistrats par les condamnés ; la guillotine lui paraissait lente et arriérée, il la remplaçait par une batterie électrique qui pouvait facilement tuer cinq cents réactionnaires en une minute. On riait de ces boutades, on croyait à trop de jeunesse qui s’épanchait en violences de langage ; ce petit homme charnu racontait tout haut ses rêves ; il a su les réaliser[1].

Il était le chef d’un groupe peu nombreux qui ne reconnaissait qu’un maître, celui qu’on appelait familièrement le vieux, c’est-à-dire Blanqui. Or Blanqui

  1. Le père de Raoul Rigault s’est suicidé à Paris, le 12 mai 1878.