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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

laquelle il m’introduisit dans sa sinistre petite cellule, me disant qu’elle lui servait à la fois de cabinet, de salon, de chambre à coucher et de salle à manger. Quoiqu’il comprit le danger de sa situation, il parlait comme préparé au sort quel qu’il fût qui l’attendait, et, comme je l’ai dit dans ma dépêche à M. le gouverneur Fisch, il ne lui échappait jamais un seul mot de reproche contre ses persécuteurs ; au contraire, il parlait d’eux avec bonté. Je n’avais jamais vu auparavant, chez aucun homme, une telle résignation et un tel esprit chrétien, et jamais personne qui parût plus élevé au-dessus des choses de la terre. Lors de ma dernière visite, il semblait bien changé. Il avait perdu sa bonne humeur, et paraissait triste et abattu. Le changement des gardiens de la prison et la démoralisation générale, qui prenait là le dessus, étaient de mauvais présage. Et en effet, au moment même où je me trouvais avec lui cette dernière fois, les troupes du gouvernement étaient entrées dans Paris par la porte de Versailles, au côté opposé de la ville, fait qui ne fut connu que plusieurs heures après.

Vous pouvez vous figurer la sensation que fit chez les insurgés la nouvelle que l’armée de Versailles était dans les murs de Paris. Le sentiment qui était celui des meneurs à l’endroit de l’archevêque, avant cette entrée, se trouve exprimé par la Montagne, un des organes les plus sauvages et les plus brutaux de la presse communiste de la capitale ; il était traduit par cette honteuse menace :

« Les chiens ne vont plus se contenter de regarder les évêques (allusion au proverbe : Un chien regarde bien un évêque). Nos balles ne s’aplatiront plus contre les scapulaires, pas une voix ne s’élèvera pour nous maudire le jour où l’on fusillera l’archevêque Darboy. Il faut que M. Thiers le sache, il faut que Jules Favre, le marguillier, ne l’ignore pas ; nous avons pris Darboy pour otage, et si l’on ne nous rend pas Blanqui, il mourra. La Commune l’a promis, et si elle hésitait, le peuple tiendrait son serment pour elle. ― Et ne l’accusez pas ! « Que la justice des tribunaux commence, a dit Danton le lendemain des massacres de septembre, et celle du peuple prendra fin. » Ah ! j’ai bien peur pour monseigneur l’archevêque de Paris[1] »

Aussitôt que le commandant en chef des troupes du gouvernement se trouva dans Paris, je lui rendis visite à son quartier général pour l’aviser de la situation de l’archevêque, afin qu’il pût prendre les mesures qui seraient jugées propres à tenter de préserver ses jours. Mais il fut impossible de rien faire, car les troupes insurrectionnelles étaient en possession de toute cette partie de la ville qui se trouve entre la place de la Concorde et les prisons de Mazas et de la Roquette, et elles combattaient derrière les barricades avec la fureur

  1. Cette citation est la conclusion d’un article, signé Gustave Maroteau, qui fut publié dans la Montagne le 20 avril 1871. M. D.