Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
366
PIÈCES JUSTIFICATIVES.

Je n’avais pas eu de relations personnelles avec l’archevêque de Paris avant qu’éclatât l’insurrection communale du 18 mars 1871, mais je connaissais bien son caractère de réputation. C’était un homme éminent par sa piété et ses vertus, et aimé de toute la population parisienne pour sa bienveillance, sa générosité, sa bonté. Quand la ville tomba dans les mains d’une populace armée, qui avait pouvoir absolu sur la vie et les biens de chacun de ses habitants, et alors que tant de personnes des hautes classes fuyaient loin du péril qui les menaçait, l’archevêque refusa résolument d’abandonner la capitale, donnant pour raison que c’était son devoir d’affronter les dangers et de tâcher de modérer les horreurs de la situation par son exemple et son courage. C’est dans les premiers jours d’avril que j’appris qu’il avait été arrêté et arraché de sa résidence par ordre du sanguinaire Raoul Rigault, le « procureur de la Commune », et qu’il était écroué à la prison de Mazas, où on le gardait au secret. Il n’était accusé d’aucun crime, mais on confessait ouvertement qu’il avait été pris pour être retenu comme otage. D’autres hommes éminents et distingués furent arrêtés à la même époque et incarcérés pour le même objet. Parmi eux étaient M. Bonjean, l’un des présidents de la Cour de cassation, l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine, et plusieurs prêtres.

Le 18 avril 1871, Mgr Chigi, nonce du pape à Paris, fit une démarche auprès de moi, en son nom et au nom de quatre chanoines ecclésiastiques de l’église métropolitaine de Paris, afin d’invoquer ma protection en faveur de l’archevêque. Je dois donner ici une explication : c’est que quand l’insurrection éclata le 18 mars, et que le gouvernement fut obligé de quitter Paris pour aller à Versailles, le corps diplomatique tout entier dut l’y suivre. J’y transférai donc ma légation ; mais tel était l’état des choses à Paris, et il y avait tant d’intérêts américains en jeu, et aussi tant d’intérêts allemands (desquels je me trouvais chargé), que je considérai comme de mon devoir de rester dans la ville, tandis que mon secrétaire, le colonel Hoffmann, prendrait possession de la légation à Versailles ; et c’est probablement parce que j’étais le seul membre du corps diplomatique qui fût demeuré dans Paris pendant le règne de la Commune, que l’on s’adressa à moi en faveur de l’archevêque. J’eus une entrevue avec Mgr Chigi, à Versailles, le 22 avril, et il m’exposa la situation périlleuse de ce prélat. La Commune était à cette heure à l’apogée de sa puissance. Avec plus de cent mille combattants, tous complètement armés, équipés et approvisionnés, avec toute la richesse de Paris à ses pieds, cette grande cité de deux millions de population était gouvernée par la violence et la terreur. Le nonce reconnut avec moi combien c’était chose délicate de tenter une intervention auprès des autorités de la Commune en faveur de l’archevêque ; mais, convaincu que je ne me trompais pas sur les sentiments de mon gouvernement et de la nation américaine et plein de profonde sympathie