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LA GRANDE-ROQUETTE.

hauteurs du cimetière, où se trouvaient établie les batteries les plus dangereuses, au pied du monument de la famille Demidoff. Ce ne fut qu’après le combat le plus acharné, après avoir massacré les canonniers sur leurs pièces et après avoir fusillé presque tous les gardes nationaux, que le cimetière fut pris. Près de 6000 cadavres jonchaient les avenues et les tombes. Beaucoup des fédérés furent égorgés dans les caveaux, sur les cercueils des morts, où ils s’étaient réfugiés et qu’ils arrosèrent de leur sang. Le massacre fut épouvantable[1] » C’est cette lugubre bouffonnerie qui a servi et sert encore de « document authentique » aux apologistes de la Commune.

À la Roquette, la nuit fut lourde ; les otages couchés à l’infirmerie ne dormirent guère. Les dix prêtres, les quatre-vingt-deux soldats de la troisième section, les quarante-deux sergents de ville, les dix artilleurs de la deuxième, avaient placé des sentinelles et veillaient à tour de rôle ; on souffrait de la faim ; depuis vingt-quatre heures on n’avait pas mangé. Au dehors, il n’y avait que du silence ; la fusillade avait pris fin. Surmenés par six jours de lutte, les combattants se reposaient. « Où sont les troupes de Versailles ? » se disait-on avec angoisse. Au petit jour, le dimanche 28 mai, le surveillant Latour, qui gardait la porte d’entrée, entendit heurter avec violence ; il mit l’œil à son judas et reconnut une compagnie de fusiliers marins ; il ne fut pas long à ouvrir ; il eut un cri qui peint bien l’état des âmes en ce moment : « Enfin ! voici la France ! » Cinq minutes après, le pharmacien, M. Trencart, qui dormait chez lui épuisé de fatigue, fut réveillé par sa porte qui volait en éclats sous la projection d’un

  1. Histoire de la Commune de Paris, par P. Vésinier. Londres, 1871. p. 405.