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LA GRANDE-ROQUETTE.

M. Chevriaux, en causant avec lui dans le couloir et dans le chemin de ronde, ne lui avait pas caché qu’il était marié, qu’il avait un enfant, et que, dans de telles conditions, la mort lui paraissait bien dure. Pendant la nuit qui suivit l’assassinat de l’archevêque, M. Guerrin appela M. Chevriaux, avec lequel il pouvait communiquer, grâce à la disposition des fenêtres ; il lui dit : « Nul ici ne nous connait ; comme vous, je suis vêtu en laïque ; on ne vérifie pas l’identité ; si l’on vient nous chercher, laissez-moi répondre à votre place ; ma vie est vouée au martyre et ma mort ne sera pas stérile si elle sauve un père de famille. » M. Chevriaux refusa. M. Guerrin, avec insistance, supplia son compagnon de lui permettre d’accomplir ce sacrifice, qu’il trouvait tout simple. M. Chevriaux fut inflexible, et M. Guerrin le blâma doucement de ce qu’il qualifiait d’obstination. Chacun d’eux, sans doute, lorsque Ramain fit l’appel de ceux qui allaient mourir rue Haxo, écouta avec angoisse s’il n’entendrait pas le nom de son voisin de captivité. Ni l’un ni l’autre de ces hommes de bien ne fut désigné. Leur dévouement resta inutile, mais il n’en est pas moins admirable, car c’est du fond du cœur et d’une inébranlable résolution que tous deux avaient fait l’abandon de leur existence.

Il était environ quatre heures lorsque le brigadier Ramain entra dans la quatrième section. Son premier mot ne laissa aucun doute aux otages ; on venait chercher une fournée : « Attention ! Répondez à l’appel de vos noms ; il m’en faut quinze ! j’en ai déjà un ( il faisait allusion à Greff ). » Chacun répondit sans faiblesse. Ramain avait quelque peine à déchiffrer un nom et disait : « Bénigny, Bénigé … » M. de Bengy, de la Société de Jésus, ancien aumônier de l’armée de Crimée, s’approcha, dit : « C’est moi, » et se réunit à MM. Caubert et Olivaint. Paul Seigneret fut appelé, il embrassa un