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LA MORT DE DELESCLUZE.

le vieux Miot peignant de la main sa longue barbe blanche, Dereure, Avrial, Arnold, Oudet, Billioray, J.-B. Clément, le lourd Cournet, Franckel qu’une blessure forçait de porter le bras en écharpe, Genton qui avait commandé le feu contre les otages, Henri Brissac, secrétaire du Comité de salut public, Lefebvre-Roncier, sous-chef d’état-major de Delescluze, Eudes encore vêtu de son élégant uniforme, Mégy, Babik avec son menton de galoche, ses vastes pieds et son crâne chevelu où la folie se promène à l’aise, Lisbonne prenant des poses, Wrobleski, encore chaud de son combat à la Butte-aux-Cailles, et d’autres, des inférieurs, des subalternes emplissaient la mairie de leur tumulte. Un témoin oculaire m’a dit : « Ils sentaient si bien que tout était fini pour eux, qu’ils n’employaient plus, en parlant, que le conditionnel passé et disaient : on aurait dû… il aurait fallu… on aurait pu… » Quant à prendre une résolution, nul n’y pensait, car nul n’en était capable ; ils se disputaient, se vomissaient leurs vérités à la face, s’accusaient mutuellement et rejetaient les fautes de tous sur chacun d’eux. Peut-être, dans l’emportement de leur fureur, s’adressaient-ils l’apostrophe de Barras à Carnot : « Va ! brigand ! il n’y a pas un pou de ton corps qui ne soit en droit de te cracher au visage ! »

Des soldats, de bas officiers entouraient Delescluze, le menaçaient du poing, lui disaient qu’il était un lâche, qu’il avait voulu fuir, mais que, puisqu’il les avait mis « dans le pétrin, il y crèverait avec eux ». Delescluze prit sa canne et son chapeau ; puis, s’étant dirigé vers la porte, il dit : « Vous n’êtes tous que de la canaille ; pas un de vous n’est capable d’aller se faire tuer. » Vermorel qui était assis dans un coin, se leva brusquement et dit : « Vous vous trompez, Delescluze, j’y vais ! » D’après une autre version, Delescluze salua ironiquement le groupe d’insulteurs : « Adieu, mes-