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LA MORT DE DELESCLUZE.

des insurgés les exaspéra, et il ne fut plus possible de les modérer. Dans le cœur des soldats, les mauvais souvenirs s’étaient aigris. Ces hommes, qui avaient souffert, qui avaient inutilement dépensé tant de vaillance, qui avaient supporté la captivité, la misère, la faim, la maladie, les longues étapes sur les routes inhospitalières, la honte d’une défaite imméritée, et qui, pour prix de leurs sacrifices, n’avaient récolté que des injures, devinrent les champions de leur cause personnelle. Ceux dont ils avaient à réduire la révolte, ceux qui incendiaient nos monuments, renversaient nos trophées militaires, assassinaient les plus honnêtes gens du pays, qu’avaient-ils donc fait durant la guerre ? Ils s’étaient gobergés au milieu des tonneaux de vin et d’eau-de-vie, ils avaient péroré dans les cabarets, neutralisé la défense par leurs émeutes, ne s’étaient point portés au devant de l’ennemi et avaient gardé toutes leurs forces pour essayer d’en accabler l’armée et le gouvernement de la France. Ces soldats, que l’on avait accusés de lâcheté, que l’on avait traités de capitulards, comprenaient instinctivement qu’ils se trouvaient en présence des hommes qui, par leur indiscipline, leurs fanfaronnades, leur volonté de ne pas combattre, avaient été les plus sûrs auxiliaires des armées envahissantes ; en les frappant, ils crurent non seulement obéir à la loi, mais venger la patrie.

En réalité, ce qu’ils punirent ce fut moins l’armée meurtrière du 18 mars que l’armée qui, pendant le siège, s’était systématiquement tenue hors du devoir et du danger. C’est la surtout ce qui donna aux derniers efforts de la lutte un caractère implacable. La révolte avait été sans pitié, la répression fut sans merci. Comme dans les batailles qui se prolongent au delà des forces humaines, l’enivrement de la tuerie avait saisi tout le monde : vainqueurs et vaincus n’eurent point