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LA GRANDE-ROQUETTE.

voitises. L’ordre de remettre Jecker à Genton était signé de Ferré.

Jecker, extrait de sa cellule par un surveillant, sur l’injonction du directeur François, fut amené au greffe ; il avait son chapeau à la main et sur les épaules un long paletot de couleur grisâtre. Il demanda ce qu’on lui voulait ; Genton répondit : « Mais nous voulons vous fusiller. » Jecker pâlit et demanda : « Pourquoi ? — Parce que vous avez été le complice de Morny, » répliqua Genton. Jecker comprit qu’il n’y avait pas à discuter, il mit son chapeau sur la tête et dit : « Je suis prêt. » De lui-même il se plaça au milieu des quatre hommes armés ; François se joignit au groupe et l’on partit.

Il est au moins étrange qu’on ne l’ait pas fusillé dans le chemin de ronde comme les otages de la veille, ou dans une rue voisine de la Roquette comme le comte de Beaufort. Quel motif a engagé les meurtriers à faire une longue course à travers plusieurs barricades où des hommes de bonne volonté s’offraient que l’on n’acceptait pas, à garder jalousement leur prisonnier entre eux et à ne vouloir partager avec nul autre l’honneur de le frapper ? Aucun document ne nous permet de répondre ; mais peut-être donnerons-nous une idée des propositions qu’il dut entendre en citant un passage de l’Histoire de la Commune de M. Lissagaray (p. 415). « Il (Jecker) parut se résigner très vite et causa même chemin faisant : « Vous vous trompez, dit-il, si vous croyez que j’ai fait une bonne affaire. Ces gens-là m’ont volé. » Peut-être doit-on inférer de là que ses assassins, eux aussi, se trompaient en croyant faire une bonne affaire et en menant si loin, dans des terrains vagues, perdus au delà du Père-Lachaise, sur les hauteurs de Belleville, un homme hors d’état de payer une rançon exagérée.