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prisonniers ; il leur portait quelque nourriture et parfois « un gobette » (verre de vin) supplémentaire. Tout cela déplaisait à Ranvier, qui, pour neutraliser le sous-brigadier et suivre sans doute un conseil donné par Préau de Védel, nomma un brigadier auquel tout le personnel des surveillants serait soumis. Il fit choix pour ce poste — qui est très important dans une prison — d’une de ses vieilles connaissances, brocanteur, marchand de vieux habits, revendeur de chiffons, résolument ivrogne, qui s’appelait Félix-Magloire Gentil et que Raoul Rigault avait parfois utilisé en guise de commissaire de police. Ce Gentil était homme à ne reculer devant rien ; aussi fut-il apprécié par les compagnons du directeur et admis dans leur intimité.

Le vendredi 19 mai, Gustave Chaudey fut amené à Sainte-Pélagie et écroué au « Pavillon des Princes ». Arrêté le 15 avril par ordre de Rigault, incarcéré au Dépôt, transféré le 14 à Mazas, il devait aux sollicitations de sa femme d’avoir été transporté à Sainte-Pélagie, où il était matériellement mieux et où il se croyait peut-être plus en sûreté. Chaudey était alors un homme de cinquante-deux ans, avocat à la cour d’appel, aimé de ses collègues, auxquels plaisait sa bonhomie un peu bruyante, d’opinions républicaines modérées, inclinant vers les idées girondines. Lié avec son compatriote Proudhon, il en avait subi l’influence et en avait admiré la logique, sans trop s’apercevoir que les conclusions étaient souvent erronées, parce que les prémisses n’étaient pas toujours justes. Il ne savait pas que Proudhon s’effrayait parfois lui-même de son œuvre et que, le 5 mai 1860, il avait écrit à son confident, Charles Beslay : « J’ai vécu, j’ai travaillé, je puis le dire, quarante ans dans la pensée de la liberté et de la justice j’ai pris la plume pour les servir, et je n’aurai servi qu’à hâter la servitude générale et la confusion. »