Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
LA MAISON DE JUSTICE.

dans les cellules où, isolés, sans communication possible, ils pouvaient être saisis un à un et enlevés sans même pouvoir faire entendre une protestation, les dirigea sur le quartier des cochers, quartier situé à l’extrémité de la prison, au bout d’une vaste galerie nommée la rue de Paris, et presque perdu au milieu des vieilles constructions embrouillées du Palais de Justice. Là du moins ils étaient ensemble. Ces vieux soldats sauraient bien, le cas échéant, ce qu’ils auraient à faire.

C’étaient, peut-on croire, des prisonniers de choix, car le 22 mai Raoul Rigault vint lui-même, vers quatre heures de l’après-midi, s’assurer qu’ils étaient à la Conciergerie. Les troupes françaises étaient dans Paris depuis la veille ; le procureur général de la Commune voulait être certain que cette proie — trente-quatre gendarmes ! — ne lui échapperait pas. Il fit sans mot dire la constatation et s’éloigna en disant : « À demain ! » Dans la journée du 23, en effet, à midi, un officier fédéré, suivi d’un peloton qui s’arrêta sur le quai, pénétra dans le greffe ; envoyé par Raoul Rigault, il était porteur de l’ordre d’extraire les gendarmes détenus à la maison de justice ; par bonheur, c’était un ordre collectif, sans indication de nombre ni de noms. On a souvent plaisanté des formules minutieuses de l’administration française ; faute de les connaître et de les avoir employées, afin de mieux agir « révolutionnairement », les hommes de la Commune ont permis de protéger plus d’une victime désignée.

M. Durlin fit preuve de sang-froid ; la fusillade qu’il entendait résonner depuis vingt-quatre heures lui faisait espérer qu’il aurait le temps de sauver ces malheureux. Il ne se trompait pas, et son vaillant cœur l’avait bien inspiré. Il prit l’ordre des mains du mandataire de Raoul Rigault et lui dit négligemment : « Nous