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la passion, lui faisoit oublier et ce qu’il étoit et ce que pouvoit être un égal en naissance et son collègue de magistrature.

Dans ces moments de crise où l’honneur est attaqué, un homme d’un certain rang se doit à lui-même, au moins de la résolution et de la fermeté : ce furent-là les interprètes de mes sentiments et les organes de ma réponse, mais sans emprunter le langage ni l’insulte, ni d’un corps-de-garde. Dans une conjoncture de parité à la mienne, le capitaine Fraser auroit trouvé dans son propre cœur la même réponse : mais elle fut dans ma bouche un crime si capital qu’il jura entre ses dents de se venger en donnant à son cheval le signal brusque du départ. Son imagination étoit si remplie des projets de sa vengeance contre moi que, quelques jours auparavant, dînant chez le colonel, aujourd’hui le général Christie, il ne put s’abstenir d’annoncer aux convives le genre d’exécution qu’il me destinoit : « Un juge à paix, dit-il brusquement, a eu l’oreille coupée[1]; on coupera bientôt la langue à un

  1. Ce juge à paix étoit M. Walker. Il fut assailli chez lui, sur les neuf heures du soir, par des hommes masqués qui le laissèrent comme mort sur le carreau, emportant avec eux son oreille. Elle fut portée par deux hommes déguisés à un officier, de-là au gouverneur qui l’envoya à M. Lames, juge à paix. Ce magistrat la conserva pliée dans du papier pour servir en son temps de preuve évidente du délit. M. le capitaine Fraser fut suspecté de cet assassinat, accusé, confiné dans une assez longue captivité et acquitté enfin, faute de preuves.