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n’apparoiſſent plus adoptifz, mais naturelz. De la ſont nées en la Langue Latine ces fleurs, & ces fruicts colorez de cete grande eloquence, auecques ces nombres, & cete lyaiſon ſi artificielle, toutes les quelles choſes non tant de ſa propre nature, que par artifice toute Langue a coutume de produyre. Doncques ſi les Grecs, & Romains, plus diligens à la culture de leurs Langues que nous à celle de la noſtre, n’ont peu trouuer en icelles ſi non auecques grand labeur, & industrie ny grace, ny Nombre, ny finablement aucune eloquence, nous deuons nous emerueiller ſi noſtre vulgaire n’eſt ſi riche comme il pourra bien eſtre, & de la prendre occaſion de le mepriſer cõme choſe vile, & de petit prix ? Le tens viendra (peut-eſtre) & ie l’eſpere moyẽnant la bõne deſtinée Frãcoyſe, que ce noble, & puyſſant Royaume obtiẽdra à ſon tour les reſnes de la monarchie, & que noſtre Langue, (ſi auecques Francois n’eſt du tout enſeuelie la Langue Francoyse) qui commence encor’à ieter ſes racines, ſortira de terre, & ſ’eleuera en telle hauteur, & groſſeur, qu’elle ſe pourra egaler aux meſmes Grecz, & Romains, produyſant comme eux des Homeres, Demoſthenes, Virgiles, & Cicérõs, auſſi bien que la France a quelquesfois produit des Pericles, Nicies, Alcibiades, Themiſtocles, Ceſars, & Scipions.