Page:Du Bellay - La Deffence, et illustration de la langue francoyse.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu faire, elles n’euſſent ſceu produyre plus grand fruict, ſe feuſſent ilz tant eforcez de les mettre au point, ou nous les voyons maintenant ? Ainſi puys-ie dire de noſtre Langue, qui commence encores à fleurir, ſans fructifier : ou plutoſt comme vne Plante, & Vergette, n’a point encores fleury, tant ſe fault qu’elle ait apporté tout le fruict qu’elle pourroit bien produyre. Cela certainement non pour le default de la Nature d’elle ausſi apte à engendrer que les autres, mais pour la coulpe de ceux, qui l’õt euë en garde, & ne l’ont cultiuée à ſuffiſance : ains comme vne plante ſauuaige, en celui meſmes Deſert, ou elle auoit commencé a naitre, ſans iamais l’arrouſer, la tailler, ny défendre des Ronces, & Epines qui luy faiſoint vmbre, l’ont laiſſée enuieillir, & quaſi mourir. Que ſi les anciens Romains euſſent eté auſsi negligés à la culture de leur Langue, quand premierement elle commẽca à pululer, pour certain en ſi peu de tens elle ne feuſt deuenue ſi grande. Mais eux en guiſe de bons Agriculteurs, l’ont premierement tranſmuée d’vn lieu ſauuaige en vn domeſtique : puis affin que plus toſt, & mieux elle peuſt fructifier, coupant à l’entour les inutiles rameaux, l’ont pour échange d’iceux restaurée de Rameaux francz, & domeſtiques, magiſtralement tirez de la Langue Grecque, les quelz ſoudainement ſe ſont ſi bien entez, & faiz ſemblables à leur tronc, que deſormais