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Au lecteur

Combien que j’aye passé l’aage de mon enfance et la meilleure part de mon adolescence assez inutilement, lecteur, si est-ce que par je ne sçay quelle naturelle inclination j’ay tousjours aimé les bonnes lettres : singulierement nostre poësie françoise, pour m’estre plus familiere, qui vivoy’entre ignorans des langues estrangeres. Depuis, la raison m’a confirmé en cete opinion : considerant que si je vouloy’gaingner quelque nom entre les Grecz, et Latins, il y fauldroit employer le reste de ma vie, et (peult estre) en vain, etant jà coulé de mon aage le temps le plus apte à l’etude : et me trouvant chargé d’affaires domestiques, dont le soing est assez suffisant pour dégouter un homme beaucoup plus studieux que moy. Au moyen de quoy, n’ayant où passer le temps, et ne voulant du tout le perdre, je me suis volontiers appliqué à nostre poësie : excité et de mon propre naturel, et par l’exemple de plusieurs gentiz espritz françois, mesmes de ma profession, qui ne dedaignent point manier et l’epée et la plume, contre la faulse persuasion de ceux qui pensent tel exercice de lettres deroger à l’estat de noblesse. Certainement, lecteur, je ne pouroy’et ne voudroy’nier, que si j’eusse ecrit en grec ou en latin, ce ne m’eust esté un moyen plus expedié pour aquerir quelque degré entre les doctes hommes de ce royaume : mais il fault que je confesse ce que dict Ciceron en l’oraison pour Murene, Qui cùm cytharoedi esse non possent, et ce qui s’ensuit. Considerant encores nostre langue estre bien loing de sa perfection,