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Parfume son tombeau de telle odeur choisie

Puis que son corps, qui fut jadis egal aux Dieux
Se souloit paistre ici de telz mets precieux,
Comme au ciel Jupiter se paist de l’ambroisie.

CV

De voir mignon du Roy un courtisan honneste,
Voir un pauvre cadet l’ordre au col soustenir,
Un petit compagnon aux estatz parvenir,
Ce n’est chose, Morel, digne d’en faire feste.

Mais voir un estaffier, un enfant, une beste,
Un forfant, un poltron Cardinal devenir,
Et pour avoir bien sceu un singe entretenir
Un Ganymède avoir le rouge sur la teste :

S’estre vu par les mains d’un soldat Espagnol
Bien haut sur une eschelle avoir la corde au col
Celuy, que par le nom de Saint-Pere l’on nomme :

Un belistre en trois jours aux princes s’egaller,
Et puis le voir de là en trois jours devaller :
Ces miracles, Morel, ne se font point, qu’à Rome.

CVI

Qui niera, Gillebert, s’il ne veut resister
Au jugement commun, que le siege de Pierre
Qu’on peut dire à bon droit un Paradis en terre,
Aussi bien que le ciel, n’ait son grand Juppiter ?

Les Grecs nous ont fait l’un sur Olympe habiter,
Dont souvent dessus nous ses foudres il desserre :
L’autre du Vatican délasche son tonnerre,
Quand quelque Roy l’a fait contre lui despiter.

Du Juppiter celeste un Ganymede on vante,
Le thusque Juppiter en a plus de cinquante :
L’un de Nectar s’enyvre, et l’autre de bon vin.

De l’aigle l’un et l’autre a la defense prise,
Mais l’un hait les tyrans, l’autre les favorise :
Le mortel en ceci n’est semblable au divin.