Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Qui m’estraindra le doigt de l’anneau de Melisse,
Pour me desenchanter comme un autre Roger ?
Et quel Mercure encor' me fera desloger,
Pour ne perdre mon temps en l’amoureux service ?

Qui me fera passer sans escouter la voix
Et la feinte douceur des monstres d’Achelois ?
Qui chassera de moy ces Harpyes friandes ?

Qui volera pour moy encor' un coup aux cieux,
Pour rapporter mon sens, et me rendre mes yeux ?
Et qui fera qu’en paix je mange mes viandes ?

LXXXIX

Gordes, il m’est advis que je suis esveillé
Comme un qui tout esmeu d’un effroyable songe
Se resveille en sursaut, et par le lict s’allonge,
S’esmerveillant d’avoir si long temps sommeillé.

Roger devint ainsi (ce croy-je) esmerveillé :
Et croy que tout ainsi la vergongne me ronge,
Comme luy, quand il eut descouvert le mensonge
Du fard magicien qui l’avoit aveuglé.

Et comme luy aussi je veulx changer de stile,
Pour vivre desormais au sein de Logistile,
Qui des cœurs langoureux est le commun support.

Sus donc, Gordes, sus donc, à la voile, à la rame,
Fuyons, gaignons le haut, je voy la belle Dame
Qui d’un heureux signal nous appelle à son port.

XC

Ne pense pas, Bouju, que les Nymphes Latines
Pour couvrir leur traison d’une humble privauté,
Ni pour masquer leur teint d’une fausse beauté,
Me facent oublier nos Nymphes Angevines.

L’Angevine douceur, les paroles divines,
L’habit qui ne tient rien de l’impudicité ;
La grâce, la jeunesse, et la simplicité
Me desgoutent, Bouju, de ces vieilles Alcines.