Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Cestui-là me deçoit d’une fausse loüange,
Et gardant qu’aux bons vers les mauvais je ne change,
Fait qu’en me plaisant trop à chacun je desplais :

Cestui-ci me degouste, et ne pouvant rien faire
Qu’il luy plaise, il me fait egalement desplaire
Tout ce qu’il fait luy mesme, et tout ce que je fais.

LXVIII

Je hay du Florentin l’usuriere avarice,
Je hay du fol Sienois le sens mal arresté,
Je hay du Genevois la rare verité,
Et du Venitien la trop caute malice :

Je hay le Ferrarois pour je ne sçay quel vice,
Je hay tous les Lombards pour l’infidelité,
Le fier Napolitain pour sa grand’ vanité,
Et le poltron Romain pour son peu d’exercice :

Je hay l’Anglois mutin, et le brave Escossois,
Le traistre Bourguignon, et l’indiscret François,
Le superbe Espagnol, et l’yvrongne Thudesque :

Bref, je hay quelque vice en chasque nation,
Je hay moy mesme encor’ mon imperfection,
Mais je hay par sur tout un sçavoir pedantesque.

LXIX

Pourquoi me grondes-tu, vieux mastin affamé,
Comme si Dubellay n’avoit point de defense ?
Pourquoy m’offenses-tu, qui ne t’ay fait offense,
Sinon de t’avoir trop quelquefois estimé ?

Qui t’a, chien envieux, sur moy tant animé,
Sur moy, qui suis absent ? Croy-tu que ma vengeance
Ne puisse bien d’ici darder jusques en France
Un traict, plus que le tien, de rage envenimé ?

Je pardonne à ton nom, pour ne souiller mon livre :
D’un nom, qui par mes vers n’a merité de vivre :
Tu n’auras, malheureux, tant de faveur de moy :

Mais si plus longuement ta fureur persevere,
Je t’envoyray d’ici un foüet, une Megere,
Un serpent, un cordeau, pour me venger de toy.