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De l’or encore moins, de luy je ne suis digne :
Mais bien d’un petit chat j’ay fait un petit hymne,
Lequel je vous envoye : autre present je n’ay.

Prenez-le donc, (Seigneur) et m’excusez de grace,
Si pour le bal ayant la musique trop basse,
Je sonne un passepied, ou quelque branle gay.

LXI

Qui est ami du cœur est ami de la bourse,
Ce dira quelque honneste et hardi demandeur,
Qui de l’argent d’autruy liberal despendeur
Lui mesme à l’hospital s’en va toute la course.

Mais songe là-dessus, qu’il n’est si vive source,
Qu’on ne puisse espuiser, ni si riche presteur
Qui ne puisse à la fin devenir emprunteur,
Ayant affaire à gens qui n’ont point de resource.

Gordes, si tu veux vivre heureusement Romain,
Sois large de faveur, mais garde que ta main
Ne soit à tous venans trop largement ouverte.

Par l’un on peut gaigner mesmes son ennemi,
Par l’autre bien souvent on perd un bon ami,
Et quand on perd l’argent, c’est une double perte.

LXII

Ce ruzé Calabrois, tout vice, quel qu’il soit,
Chatouille à son ami, sans espargner personne,
Et faisant rire ceux, que mesme il espoinçonne,
Se jouë autour du cœur de cil qui le reçoit.

Si donc quelque subtil en mes vers aperçoit
Que je morde en riant, pourtant nul ne me donne
Le nom de feint ami vers ceux que j’aiguillonne :
Car qui m’estime tel, lourdement se deçoit.

La satire (Dilliers) est un publiq exemple,
Où, comme en un miroir, l’homme sage contemple
Tout ce qui est en luy, ou de laid, ou de beau.

Nul ne me lise donc : ou qui me voudra lire,
Ne se fasche s’il voit, par maniere de rire,
Quelque chose du sien portraict en ce tableau.