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Du luth et du pinceau j’en esbatray ma vie,
De l’escrime et du bal : je discourois ainsi,
Et me vantois en moy d’apprendre tout ceci,
Quand je changeay la France au sejour d’Italie.

Ô beaux discours humains ! je suis venu si loin,
Pour m’enrichir d’ennuy, de vieillesse, et de soin,
Et perdre en voyageant le meilleur de mon aage.

Ainsi le marinier souvent pour tout tresor
Rapporte des harans en lieu de lingots d’or,
Ayant fait, comme moy, un malheureux voyage.

XXXIII

Que feray-je, Morel ? dy moy, si tu l’entens,
Feray-je encore ici plus longue demeurance,
Ou si j’iray revoir les campaignes de France,
Quand les neiges fondront au soleil du printemps ?

Si je demeure ici, helas, je perds mon temps
À me repaistre en vain d’une longue esperance,
Et si je veux ailleurs fonder mon asseurance,
Je fraude mon labeur du loyer que j’attens.

Mais faut-il vivre ainsi d’une esperance vaine ?
Mais faut-il perdre ainsi bien trois ans de ma peine ?
Je ne bougeray donc. Non, non, je m’en iray.

Je demourray pourtant, si tu me le conseilles.
Helas (mon cher Morel) dy moy que je feray,
Car je tiens, comme on dit, le loup par les oreilles.

XXXIV

Comme le marinier, que le cruel orage
A long temps agité dessus la haute mer,
Ayant finablement à force de ramer
Garanty son vaisseau du danger du naufrage,

Regarde sur le port, sans plus craindre la rage
Des vagues ny des vents, les ondes escumer :
Et quelqu’autre bien loin, au danger d’abysmer,
En vain tendre les mains vers le front du rivage :