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XIII

Plus riche assez que ne se monstroit celle
Qui apparut au triste Florentin,
Jettant ma veüe au rivage Latin,
Je vi de loin surgir une Nasselle :

Mais tout soudain la tempeste cruelle,
Portant envie à si riche butin,
Vint assaillir d’un Aquilon mutin
La belle nef des autres la plus belle.

Finablement l’orage impetueux
Fit abysmer d’un goufre tortueux
La grand’richesse à nulle autre seconde.

Je vi sous l’eau perdre le beau thresor,
La belle nef, et les Nochers encor,
Puis vi la belle Nef se ressourdre sur l’onde.

XIV

Ayant tant de malheurs gemi profondement,
Je vi une Cité quasi semblable à celle,
Que vid le messager de la bonne nouvelle,
Mais basty sur le sable estoit son fondement.

Il sembloit que son chef touchast au firmament
Et sa forme n’estoit moins superbe que belle :
Digne, s’il en fut onc digne d’estre immortelle,
Si rien dessous le ciel se fondoit fermement.

J’estois esmerveillé de voir si bel ouvrage,
Quand du costé du nord vint le cruel orage,
Qui soufflant la fureur de son cœur despité,

Sur tout ce qui s’oppose encontre sa venue,
Renversa sur le champ, d’une poudreuse nue
Les foibles fondemens de la grande Cité.

XV

Finablement sur le poinct que Morphee
Plus veritable apparoist à nos yeux,
Fasché de voir l’inconstance des cieux,
Je voy venir la sœur du grand Typhee :

Qui bravement d’un morion coiffée
En majesté sembloit esgale aux Dieux,
Et sur le bord d’un fleuve audacieux
De tout le monde erigeoit un trophee.