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Las ! où est maintenant ceste face honoree,
Où est ceste grandeur et cest antique los,
Où tout l’heur et l’honneur du monde fut enclos,
Quand des hommes j’estois et des Dieux adoree ?

N’estoit-ce pas assez que le discord mutin
M’eust fait de tout le monde un publique butin
Si cest Hydre nouveau, digne de cent Hercules,

Foisonnant en sept chefs de vices monstrueux
Ne m’engendroit encor à ces bords tortueux
Tant de cruels Nerons et tant de Caligules ?

XI

Dans un mont une flamme allumee
A triple poincte ondoyoit vers les cieux,
Qui de l’encens d’un cedre precieux
Parfumoit Tair d’une odeur embasmee.

D’un blanc oyseau l’aile bien emplumee
Sembloit voler jusqu’au sejour des Dieux,
Et degoisant un chant melodieux
Montoit au ciel avecques la fumee.

De ce beau feu les rayons escartez
Lançoient partout mille et mille clartez,
Quand le degout d’une pluye doree

Le vint esteindre, ô triste changement !
Ce qui sentoit si bon premierement
Fut corrompu d’une odeur sulphuree.

XII

Je vi sourdre d’un roc une vive fontaine,
Claire comme cristal aux rayons de soleil,
Et jaunissante au fond d’un sablon tout pareil
A celuy que Pactol roule parmi la plaine.

Là sembloit que nature et l’art eussent pris peine
D’assembler en un lieu tous les plaisirs de l’œil :
Et là s’oyoit un bruit incitant au sommeil,
De cent accords plus doux que ceux d’une Sirene.

Les sieges et relais luisoyent d’yvoire blanc,
Et cent Nymphes autour se tenoyent flanc à flanc,
Quand des monts plus prochains de Faunes une suite

En effroyables cris sur le lieu s’assembla,
Qui de ses villains pieds la belle onde troubla,
Mist les sieges par terre, et les Nymphes en fuite.