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Et vi l’oyseau, qui la lumiere fuit
Comme un vermet renaistre de sa cendre.

VIII

Je vi un fier torrent, dont les tlots escumeux
Rongeoient les fondements d’une vieille ruine :
Je le vi tout couvert d’une obscure bruine
Qui s’eslevoit par l’air en tourbillons fumeux :

Dont se formoit un corps à sept chefs merveilleux
Qui villes et chasteaux couvoit sous sa poitrine
Et sembloit dévorer d’une egale rapine
Les plus doux animaux et les plus orgueilleux.

J’estois esmerveillé de voir ce monstre enorme
Changer en cent façons son effroyable forme,
Lorsque je vi sortir d’un antre Scythien,

Le vent impetueux, qui souffle la froidure,
Dissiper ces nuaux, et en si peu que rien
S’esvanouir par l’air ceste horrible figure.

IX

Tout effrayé de ce monstre nocturne,
Je vy un corps hideusement nerveux,
A longue barbe, à longs flottants cheveux,
A front ridé et face de Saturne :

Qui s’accoudant sur le ventre d’une urne,
Versoit une eau dont le cours fluctueux
Alloit baignant tout ce bord sinueux,
Où le Troyen combattit contre Turne.

Dessous ses pieds une Louve allaictoit
Deux enfançons : sa main dextre portoit
L’arbre de paix, l’autre la palme, forte :

Son chef estoit couronné de laurier,
Adonc lui cheut la palme, et l’olivier,
Et du laurier la branche devint morte.

X

Sur la rive d’un fleuve une Nymphe esploree
Croisant les bras au ciel avec mille sanglots,
Accordoit ceste plainte au murmure des flots,
Outrageant son beau teinct et sa tresse doree :