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la france juive

Avouez que tous, plus ou moins, vous avez éprouvé ce sentiment. Je juge les autres d’après moi-même. À coup sûr, je n’attendais nul service de Gambetta ; c’est à peine si j’ai dîné deux ou trois fois avec lui dans des maisons littéraires, et j’ai été frappé surtout de la signification de ses doigts crochus, qui avaient une si singulière éloquence au point de vue de la révélation des appétits inférieurs. Malgré tout, je me suis surpris à parler de lui, au commencement, quand son nom venait par hasard sous ma plume dans un article, avec une relative déférence.

Encore une fois nous avons tous été plus ou moins les complices involontaires de ce comédien. Il exista un moment en sa faveur une espèce de conspiration silencieuse comme il s’en organisait en Italie pendant la domination autrichienne, un complot général auquel tout le monde était affilié. Chacun s’imaginait être dans le secret de ce Brutus, qui contrefaisait l’énergumène pour mieux tromper les regards jaloux, de cet obstiné couveur de revanche, qui bien avant dans la nuit, disait-on, s’entretenait tour à tour avec de vieux généraux et de jeunes colonels. Chacun attendait le moment où, réunissant toute la France dans un élan irrésistible, poussant Charette dans les bras des communards, jetant les prêtres dans les bras des libres-penseurs, mêlant les soldats de Bazaine aux compagnons de Faidherbe, il s’écrierait : « Le moment est venu, nos coffres sont pleins d’argent, nos arsenaux regorgent d’armes, la France s’est silencieusement refaite, l’Europe nous est favorable, en avant[1] ! »

  1. Gambetta, dans les dernières années, n’acceptait jamais d’invitations à dîner pour le vendredi. Tandis que la pauvre romanesque de France se forgeait un idéal de rêveur de revanche, l’irréconci-