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ornée de bustes, puis, après avoir descendu quelques marches de marbre, on pénétrait dans ce splendide jardin qui va jusqu’à l’avenue Gabriel et qui exerçait, sur le visiteur sortant de la rue boueuse et maussade, cette attraction particulière aux parcs urbains qu’on découvre entre deux maisons.

Sur un fauteuil, près de la table, était un adorable Pater acheté à une vente la veille. Comme j’examinais cette toile pimpante et fraîche où des gardes françaises, en sablant le champagne, lutinaient de bon cœur des soubrettes peu rebelles et des comédiennes peu farouches, le vieillard me dit de sa voix très chantante et très douce : Est-ce joli ?

Si c’était joli, lui ne le savait plus. Les yeux étaient presque complètement éteints et, pour demander une jouissance dernière à l’art qu’il avait sincèrement aimé, le possesseur de tant de merveilles passait la main pour deviner les contours sur les statues qui décoraient son parc.

Une noble vision de sérénité et de grandeur me venait à l’âme dans ce décor imposant, et considérez cependant ce que c’est que l’association des idées. Tandis que les oiseaux, mis en joie par les premiers sourires du printemps, gazouillaient dans les arbres du jardin, un souvenir obstiné me venait du bottier de mon père. Il habitait un logement haut perché dans une maison triste, sans air, fétide, de la rue Quincampoix. Un jour, ma mère m’emmena avec elle pour savoir pourquoi on n’apportait pas une paire de bottes promise depuis longtemps. Quand nous arrivâmes, dans l’escalier noir, un escalier affreux à la rampe humide que je sens toujours, tant sont vivaces les impressions enfantines, suinter sous mes doigts, tout un monde de commères, de voisins, d’ouvriers commentait la lamentable histoire du malheureux. Avec les économies de toute sa vie, il avait,