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bard. Le juif, l’homme immonde, l’homme qui ne peut toucher ni denrée ni femme qu’on ne la brûle, l’homme d’outrage, sur lequel tout le monde crache, c’est à lui qu’il faut s’adresser.

Prolifique nation, qui, par-dessus toutes les autres, eut la force, multipliante, la force qui engendre, qui féconde à volonté les brebis de Jacob ou les sequins de Shylock. Pendant tout le moyen-âge, persécutés, chassés, rappelés, ils ont fait l’indispensable intermédiaire entre le fisc et la victime du fisc, entre l’argent et le patient, pompant l’or d’en bas, et le rendant au roi par en haut avec laide grimace… Mais il leur en restait toujours quelque chôse… Patients, indestructibles, ils ont vaincu par la durée. Ils ont résolu le problème de volatiliser la richesse, affranchis par la lettre de change, ils sont maintenant libres, ils sont maîtres, de soufflets en soufflets, les voilà au trône du monde.

Pour que le pauvre homme s’adresse au Juif, pour qu’il approche de cette sombre petite maison, si mat famée pour qu’il parle à cet homme qui, dit-on, crucifie les petits enfants, il ne faut pas moins que l’horrible pression du fisc. Entre le fisc, qui veut sa moelle et son sang, et le Diable qui veut son âme, il prendra le Juif pour milieu.

Quand donc il avait épuisé sa dernière ressource, quand son lit était vendu, quand sa femme et ses enfants, couchés à terre, tremblaient de fièvre en criant : du pain ! tête basse et plus courbé que s’il eût porté sa charge de bois, il se dirigeait lentement vers l’odieuse maison du Juif, et il restait longtemps à la porte avant de frapper. Le Juif ayant ouvert avec précaution la petite grille, un dialogue s’engageait, étrange et difficile. Que disait le Chrétien ? « Au nom de Dieu ! — Le juif l’a tué, ton Dieu ! — Par pitié ! — Quel chrétien a jamais eu pitié du Juif ? Ce ne sont pas des mots qu’il faut. Il faut un gage. — Que peut donner celui qui n’a rien ? Le Juif lui dira doucement : — Mon ami, conformément aux ordonnances du Roi, notre sire, je ne prête ni sur habit sanglant, ni sur fer de charrue… Non, pour gage, je ne veux que vous-même. Je ne suis plus des vôtres, mon droit n’est pas le droit chrétien. C’est un droit plus antique (in partes secando) ; votre chair répondra. Sang pour or.

Les Juifs furent plus durement traités par Philippe le Bel que par aucun de ses prédécesseurs. L’édit de 1306 les