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très brèves anecdotes, lancées avec feu et soudain abandonnées. Il tâchait de tirer des effets comiques du contraste assez brutal qui s’imposait à l’esprit d’Alain entre le Dubourg de dix ans auparavant et celui d’aujourd’hui.

Au sortir de la guerre, Dubourg était un jeune homme déjà chauve, mais fringant, il avait une maîtresse qui lui donnait pas mal d’argent qu’il redonnait à d’autres femmes. Son appartement était toujours rempli de filles et de garçons faciles. On buvait, on faisait l’amour. Dans la belle saison, on se promenait en Espagne, au Maroc. Il avait tôt lassé sa protectrice ; ‬puis il avait attrapé une maladie de foie et s’était blasé sur la variété des femmes. De bonne heure, il avait eu des arrière-pensées, et on le surprenait dans son lit, vers midi, tournant le dos à sa maîtresse, le nez dans de gros livres d’histoire religieuse. Un jour, il avait payé ses dettes, et demandé la main de Fanny qui d’un signe de tête avait dit oui. Il était parti pour Le Caire où elle était née et maintenant il vivait confiné dans des études absurdes, presque pauvre, avec cette douce vermine de femme et d’enfants sur le dos.


La vermine disparut après le déjeuner et laissa les deux hommes l’un en face de l’autre, dans le cabinet blanc, pourvus de café et de tabac. Pendant le déjeuner, Dubourg, tout en bavardant, avait perçu l’intime sentiment