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trouvait toujours en face de femmes riches. Or, il se disait sans cesse que leur charme était fait en partie de leur argent. Dans l’isolement invincible où il s’enfonçait de plus en plus, cette idée avait été en s’exaspérant.

Elle devint un tourment insupportable devant Dorothy dont il était tombé sincèrement amoureux : elle était douce. Son scrupule se manifesta par une ironie atroce qu’il tournait contre lui-même.

— Je vous aime, vous devez être riche, lui avait-il dit un soir.

Elle lui avait répondu très sérieusement ‫؛‬

— Hélas ! je ne le suis pas assez, et je vous en demande pardon.

Elle ne comprenait pas du tout l’amertume d’Alain, parce qu’elle n’avait jamais connu qu’un milieu où il est entendu qu’on doit avoir de l’argent. Les pères ont travaillé pour le gagner, mais les filles ou les fils ne s’en souviennent pas et trouvent naturel que ceux de leurs amis ou de leurs parents qui n’en ont pas se le procurent par le seul moyen qui puisse se concevoir : le mariage.

Elle était confirmée dans ce sentiment par la fantaisie dédaigneuse qui donnait à Alain un air d’aristocrate à qui sont dues toutes les facilités. S’estimant moins intelligente et moins raffinée que lui, elle ne voyait d’excuses à ses yeux que dans son argent. Elle lui demandait pardon de n’en avoir pas plus, elle voulait le lui prodi-