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resserrer nos rapports. Je laisserai sur vous une tache indélébile. Je sais bien qu’on vit mieux mort que vivant dans la mémoire de ses amis. Vous ne pensiez pas à moi, eh bien, vous ne m’oublierez jamais ! »

Il leva le bras et le piqua.

Ce bar était assez élégant et rempli de brillantes épaves : hommes et femmes dévorés d’ennui, rongés par la nullité.

Alain regrettait Solange. Jusqu’à ce soir-là, il n’avait jamais songé à lui faire la cour, paralysé par l’idée de la maîtrise de Cyrille. Et soudain cette femme si facile, si difficile, représentait pour lui tout ce qu’il perdait. Il avait un regret affreux de cette chair si réelle. Les humains marchaient et chantaient dans un paradis, la vie ; ils allaient précédés de Solange et de Brancion. Même Dubourg marchait en queue de ce cortège. Il repensa à Dubourg, à la Seine grise, il ne reverrait plus la Seine. Mais si, il n’était pas pressé, il avait encore de l’argent, de la drogue. Non, sans Solange, impossible de survivre.

Il sortit du bar ; il appela un taxi, il courut à un autre bar deux cents mètres plus loin. L’héroïne remontait en lui, mais comme après un raz de marée, l’eau qui repasse par une brèche et lèche ce qui ne se défend plus.

« Tiens, un camarade. Debout, devant le bar, comme moi, seul. Mon semblable, mon frère. Il m’écoute. »

Milou était un bon garçon, avec de ces refus