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Du taxi, Alain sauta dans un bar des Champs-Élysées. C’était de là qu’il téléphonerait : plus agréable qu’un bistrot de Montmartre. Il aimait le confort public ; et il reprenait l’ornière avec une volupté morose. Pendant des années, tous les soirs, il avait ainsi téléphoné des bars à quelques appartements, et de ces appartements aux bars.

Il sentait monter en lui une hâte. Quand la vitalité diminue, ce qu’il en reste se manifeste par la hâte à se consumer. Il commanda un whisky, entra dans la cabine, annonça à Praline sa venue, ressortit, prit son verre sur le bar.

Puis il regarda un peu autour de lui : les têtes n’avaient pas changé depuis dix ans. Dans un coin se tenaient trois ou quatre messieurs étriqués, à l’œil doucereux, qui avaient été jeunes avant lui. L’un avait engraissé, l’autre avait perdu ses cheveux ; mais ils montraient le même sourire embué.

Ils connaissaient Alain et le réprouvaient.