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de faire dire à Jimmy au bout de deux ou trois jours les réserves qu’il faisait sur tel ou tel client et par exemple sur Raphaël Boucherond.

— Ces gens-là se croient tout permis depuis qu’il y a le gouvernement de Vichy. Quand même le peuple était plus respecté avant.

— Il a l’air gentil, pourtant.

— Je ne vous dis pas. D’ailleurs, je ne me laisserais pas marcher sur les pieds.

— Mais vos pieds sont derrière le bar, il n’y a pas de danger.

Je ne vous dis pas, mais tout de même.

Mais c’était un type qui avait déjà une belle situation avant.

— Je ne vous dis pas.

Jimmy avait gardé du temps de la liberté ou de la licence un petit air de crâner, mais ça n’avait jamais été qu’un air, et c’était maintenant à peine perceptible. Il se méfiait de plus en plus de toute chose, d’année en année ; depuis le Front populaire on n’était plus tranquille ; ça avait empiré avec la guerre et maintenant… Quand même il laissait entendre à demi-mot que M. Raphaël Boucherond était un bourgeois de droite qui se sentait un peu trop sûr de lui, rapport au Maréchal, tandis que lui Jimmy, petit bourgeois très vaguement de gauche, était diminué. Ce jugement était d’autant plus remarquable que, la veille, Raphaël Boucherond avait accablé Jimmy de prévenances, pour le jour où les communistes tiendraient la queue de la poêle. Non pas que Jimmy fût soupçonné d’être communiste,