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et qui a créé les dieux, et les animaux et les femmes et les nuances de l’aquarelle. »

Constant se promenait à travers la France et goûtait un délice amer : tout se défaisait et en se défaisant montrait comment cela avait été fait et quelle merveille est une chose qui a été. Il croyait à la décadence totale du pays et en même temps que la décadence veut dire renaissance. Les décadences politiques couvrent les surprenantes démarches que font les hommes et les femmes pour sortir d’une beauté et entrer dans une autre. Car la beauté est toujours là, alors même qu’on ne fabrique plus que des meubles et des maisons infâmes et que les visages expriment l’indifférence et la stupidité des grandes villes. D’autres grâces apparaissent qu’on ne saisira que plus tard et que peut-être on ne saisira pas.

« Il y a bien eu quelqu’un pour apprécier les débris de Rome, après sa prise par Alaric. Et même s’il n’y a eu personne, la vie n’en continue pas moins ailleurs, et si ce n’est sur terre dans les étoiles. Puisque les choses ont été, d’autres seront. L’homme éternel est assis au cœur de l’être et du non-être anéantissant en lui les choses au fur et à mesure qu’il les voit. »

Constant s’occupait donc de marché noir et fréquentait toutes sortes de crapules tièdes. Il n’en aurait pas été autrement s’il avait été directeur dans une grande affaire de textile ou dans une banque. Il aimait mieux les postes modestes, qui impliquaient moins de prétention et d’hypocrisie