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aurait regardé aussi Aline, dont il apprit qu’elle était bretonne comme l’ouvreuse de l’après-midi qui était restée si dignement silencieuse. Elle avait le nez un peu écrasé, une peau encore plus blanche que celle de l’ouvreuse et des seins moins volumineux que ceux de Paulette, mais encore très bien accrochés, un peu en retrait comme ceux d’une fausse maigre. Elle avait été danseuse au Tabarin et Paulette avait été mannequin et modèle.

— Elles ont payé leur part, déclara Raymond en montrant les dents. Elles ont permis à la communauté de prendre connaissance de leurs beautés.

— Et ça continue, ajouta Tony.

Il était grand, musclé, avec un masque nerveux qu’il contraignait par moments. Il passa le bras autour de la taille d’Aline, ce qui ne sembla pas offusquer Raymond.

On parlait de choses et d’autres avec beaucoup de liberté, sans insister sur rien. Les femmes parlaient peu.

— Nous sommes au temps de la foire d’empoigne, disait Raymond, qui n’était pas plus ironique que Charles, mais aimait étaler son ironie en images joviales et pittoresques. La France est parcourue par diverses troupes étrangères, visibles ou invisibles, et par diverses bandes indigènes, plus ou moins clandestines. Apparemment ce n’est qu’un ventre qui cherche à se nourrir.

— Pourtant, fit remarquer Tony, il n’y a pas eu depuis longtemps autant de Français qui se fassent tuer pour leurs idées.