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sur le papier blanc qui appelait un art absent, il déchira le papier et s’en alla chez Charles en se disant : « J’ai fait oraison. J’ai piqué l’heure. »

Chez Charles il y avait Raymond, Paulette, Aline, Tony et Robert. On fit un dîner simple, mais abondant. Les deux femmes avaient mis des robes du soir et étaient très décolletées. Comme Constant l’avait supposé, Paulette avait une admirable gorge. Deux énormes globes suspendus à des attaches puissantes, mais fondues dans un albâtre si délicat qu’il paraissait vaporeux.

— Vous êtes comme une figure de Prud’hon, fit-il.

Robert Santon parut seul apprécier l’allusion et, sous ses lunettes, jeta un regard aigu sur Constant.

Oui, mais il y a le clair de lune en moins.

Si l’on veut, la lune ou le soleil sont là.

Il ne paraissait pas de domestiques, les deux femmes avaient tout apporté sur la table, au début, et on se servait à sa fantaisie. Charles mangeait peu et ne buvait pas. Petit, avec des membres délicats, des attaches fines, des mains d’évêque, il portait avec amusement sa grosse tête, son nez droit tranchait dans la graisse molle. La graisse autour du menton et au ventre restait circonscrite par la finesse de miniature de son dessin général. Sa voix était une chaude ironie, et c’était avec cette chaude ironie qu’il considérait les beaux globes de Paulette ou ses dents un peu jaunes.

Constant, s’il n’avait pas tant regardé Paulette,