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uns après les autres. On les payait sur-le-champ, le payeur était un comparse qui avait eu l’air ennuyé de l’arrivée brusque de Raymond. Celui-ci prit note soigneusement des paiements, mais il avait demandé à Constant de faire un tour dans les environs pour voir si des gendarmes ne rôdaient pas par là.

— Tissot, c’est le type qui paie, est d’accord avec eux, mais on ne sait jamais. Il a été dire un mot tout à l’heure à un type, il pourrait nous faire prendre : maintenant que l’affaire est organisée, il rêve de la garder pour lui seul.

Constant était enchanté de circuler dans la campagne, par le beau clair de lune. Cela lui rappelait le temps de la guerre quand il était dans un corps franc. Il aimait être seul, dérobé, subreptice. Il faisait la guerre pour lui seul, contre tous, en tout temps. Il resta de longs moments immobile, écoutant les bruits ; le froid comme un renard au pelage glacé se coulait dans son dos.

Quand il revint, le travail était fini. On but du café, on mangea une forte omelette. Le fermier était une petite brute sournoise et craintive qui aidait un peu le tueur. Sa femme, toute pareille à lui, servait. Le Tissot semblait mécontent et inquiet. Raymond ne s’occupait pas de lui.

— Nous allons partir, dit-il. Il n’y a plus qu’à charger la camionnette.

Mais on ne la chargea pas avec de la viande abattue, elle fut chargée de choux.

— Mon métier, c’est d’amener des choux aux Halles, fit Raymond tranquillement.