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entre soi ; mais la patronne faisait de la bonne cuistance, alors des gens qui avaient des sous avaient rappliqué. Alors, on n’était plus chez soi, mais lui y venait encore, il n’admettait pas qu’on le foute à la porte de nulle part dans son quartier.

Constant allait s’en aller, il allait rentrer chez lui, où il savait qu’il allait retrouver ses livres. Il n’avait pas beaucoup de livres, mais il n’y en avait aucun qui ne lui tînt à la chair, au plus profond de la chair. Il ne pouvait souffrir longtemps chez lui un livre qui ne fût comme le pain et le vin et le tabac ; il le revendait à peine lu. Et il revenait aux vieux bouquins déchiquetés, cochés, chargés d’hiéroglyphes qui marquaient les jalons de son apprentissage. Les livres étaient comme les tableaux, comme les arbres, comme les femmes — et plus. Il pensait à ses livres qu’il allait retrouver et déjà il était dans l’un d’entre eux, qu’il venait de redécouvrir pour la vingtième fois, qu’il lisait de nouveau pour la première fois. Il était déjà dedans : c’était comme le bleu de Prusse au-dessus de l’ivrogne. Il retrouva tout d’un coup le bleu de Prusse.

En sorte que l’ivrogne avait devant lui une statue de bois qui le regardait avec des yeux fixes, provocants, insultants.

— Oui, moi je vous le dis. Ça va finir.

L’ivrogne s’était levé et était venu éructer sous le nez de Constant qui soudain lui lança une grande baffe. L’ivrogne recula un peu et se rebiffa. Constant, dérangé, ennuyé, mais qui savait qu’il faut être inflexible, se leva et dit :