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Armand, le type de la secrète, dit quelques mots, commanda quelque chose. Bientôt il avisa les quatre de la table, il les connaissait aussi bien que le patron. Il alla leur causer, un instant.

Constant regardait, voyait. Il ne voyait plus que les hommes, il ne voyait plus le bleu, c’était pour en revenir là qu’il avait pris un vieux marc. L’inconnu qui était entré et qui avait causé un instant avec les quatre, il ne savait pas qui c’était, mais il voyait bien que c’était un type à la coule. Étaient aussi à la coule l’homme et la femme qui s’attardaient, qui détonnaient dans le petit paysage sans eux parfaitement refermé sur lui-même. L’ivrogne n’était pas en trop dans le paysage, c’était simplement une tache du paysage qui avait échappé au pinceau du peintre et sautait comme une sotte. Les sots sont méchants : dès qu’ils boivent, ça se voit.

M. Armand, après avoir un instant causé avec ceux de la table, but, paya et sortit. L’ivrogne s’était tenu assez tranquille pendant qu’il avait été là, mais ensuite il se rattrapa. Il s’en prenait décidément à tous ceux qui ne l’écoutaient pas ou qui ne lui répondaient pas, qui le laissaient dans le vide. L’ivrogne menaçait, assurait que le monde entier était avec lui, derrière lui et que ceux qui n’étaient pas avec lui étaient contre lui. Il en voulait surtout à Constant qui, seul, aurait dû se dévouer pour lui donner la réplique. Un homme seul ne doit pas rester seul, ce n’est pas bien, c’est suspect ; et lui, l’ivrogne, ne venait seul au bistrot que pour être avec tout le monde. Autrefois ce bistrot n’était pas comme ça, on était