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un aboi de quête, à fendre le cœur des dieux, c’est qu’il y a des âmes qui circulent subrepticement dans l’épaisseur massive de ce mur de viande et qui se détachent soudain et fugitivement, pour un éclat éternel comme ce bleu de Prusse sur ce mur. Constant suivait les courts mouvements de la main potelée d’un des deux hommes, le plus petit, le plus gros, le plus fluet : c’était direct, sûr et léger comme le geste du peintre autour des deux seins de la femme enrobée de bleu de Prusse. Ces petites mains devaient drôlement s’approcher des seins lourds de la femme en face de lui, qui devaient être beaux comme ceux de la femme en bleu de Prusse. Plus beaux ou moins beaux ? C’était un autre domaine que celui de la réalité picturale, un autre et le même. Pour Constant, et sans doute pour le peintre, somme toute c’était le même. Les seins de la femme en face du petit gras étaient à jamais immobiles comme ceux de la femme sur le mur, et éternellement la main potelée du petit gras restait suspendue sur ces globes perdus dans le bleu grave du ciel. L’homme ivre de l’odeur de sa planète reste là une main en l’air, en plein ciel. Et vraiment ces distinctions de vie et de mort… Constant demanda un vieux marc. Il était tellement ivre de rien et de tout, qu’il lui fallait rétablir le contact avec un monde plus différencié. Les distinctions. Il y a tout de même les distinctions et les différences. Certes. Et sans cela, on ne sentirait rien et surtout pas l’éternité. L’éternité, sans la morsure de l’instant, c’est pour Dieu. Et encore,