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formidable avec eux, elles étaient grandes et massives alors qu’eux étaient plutôt fluets sous la graisse, une graisse qui ne pesait pas d’ailleurs. Eux étaient assez négligés dans leur mise, mais bien à l’aise. Les femmes étaient assez élégantes. Des poules, sûrement, mais pas de la basse espèce, elles avaient dû être mannequins ou danseuses à leurs heures. Elles étaient belles et désirables et ne se refusaient nullement, bien que convenablement absorbées par les deux hommes. Qu’est-ce que faisaient les deux hommes ? Une chose ou une autre, mais pas bête, rondement menée. Ils n’avaient pas l’air abruti par le profit et semblaient s’amuser de quelque chose d’autre qui pétillait dans leurs yeux et dans leurs rares éclats de voix. Ils avaient l’air méridional, mais très corrigés par Paris. À bien regarder, différents l’un de l’autre, ces deux hommes ; et la différence était excitante à pister au milieu de la ressemblance. Constant s’amusait à ce jeu de lumières et d’ombres où il se reposait parfois de la contemplation des bleus sur le mur où s’entrecroisaient dans la rumeur sourde d’une fête presque muette un ciel et un enfer de semblances et de dissemblances. En commun chez ces deux hommes, il y avait de l’intelligence, de la ruse, de l’ironie, de la méchanceté, mais aussi chez chacun quelque chose qui n’était pas chez l’autre. Peut-être son âme. C’était peut-être des types qui avaient des âmes : ça se rencontre. C’est ça qui fait qu’on est lié à la vie comme un chien sauvage à une Piste de lapin qui vous tire un gémissement sans fin,