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passent et qui ne reviennent pas parce qu’ils sont refoulés par le secret, d’autres qui reviennent et qui ne sont jamais dans le secret mais qu’on garde parce qu’ils meublent le lieu. Le réseau de la confiance et de la méfiance est plus lâche ici, plus resserré là. Tout cela est très stable, bien que de temps en temps il y ait des changements. La règle s’appuie sur les exceptions : Constant était un peu à part et pourtant tout le monde avait admis d’emblée qu’il était dans le bain.

Ce qui lui plaisait dans ce bistrot, c’étaient les couleurs. Il y avait un bon peintre qui avait vécu par ici et qui avait laissé une trace heureuse. Ce peintre était fou de bleu et Constant aussi. Sans doute ce peintre avait-il touché ces murs au début de la guerre quand Paris était soudain devenu tout bleu, d’un bleu secret et délicat de solitude qui se complaît doucement et chaudement en elle-même et qui nie avec un entêtement rusé et délicieusement absurde les traînées de froid et de rigueur qui s’approchent de tous les lointains. Ce peintre aimait sans doute le bleu auparavant, mais la circonstance lui avait enjoint de se repaître de sa préférence. Peut-être maintenant, s’il n’était pas mort, aimait-il une autre couleur ? Mais Constant qui n’était pas peintre aimerait toujours le bleu. Il haïssait le vert et méprisait le violet. Avec quelque complaisance pour le jaune, il appréciait le rouge dans la mesure où il se mariait, divorçait et se remariait avec le bleu. Il y avait aussi des terres de Sienne, des cobalts qui le nourrissaient bien. Il était goinfre