Page:Drieu La Rochelle - Les Chiens de paille, 1964.djvu/58

Cette page n’a pas encore été corrigée

la vie et hors la vie comme vous, sauf Nietzsche.

— Dans notre temps, peut-être. Pourtant un autre homme, et justement un peintre, a été comme Nietzsche sage jusqu’à la folie.

— Van Gogh. Les modernes ne peuvent plus supporter la sagesse, elle les rend fous.

— Dostoïevsky a eu la chance d’aller d’abord au bagne, c’est ce qui lui a permis cet équilibre merveilleusement instable, qui triomphe finalement dans le grand livre des Karamazov.

— Autrefois, il y a eu Vinci.

— Oui, Vinci a encore mieux surmonté François d’Assise, Savonarole et Pic de la Mirandole que Dostoïevsky ses mystiques et ses nihilistes, tout en se nourrissant d’eux dans le fond de ses géhennes intérieures.

Ils marchaient maintenant le long du cloître. La matinée s’était développée au-dessus d’eux  : un ciel léger se dérobait à l’infini et une mouette jetait son cri d’enfant.

— Oui, reprit le petit peintre, Nietzsche, Van Gogh, Dostoïevsky  : seuls maîtres possibles… Mais alors, vous n’êtes pas français  ?

— Si, sourit Constant.

— Tiens.

— J’explique cela mythologiquement, en disant que je suis nordique.

— Aristote dit  : «  Aimer les mythes, c’est en quelque manière se montrer philosophe.  » Nos trois bonshommes aboutissent à Hitler.

— Ils meurent en lui.

— Peut-être revivent-ils dans Staline  ?