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Constant avec un sourire à peine triste, dont la bienveillance aussitôt concentrée contrastait avec le lointain du regard dans les yeux les plus pâles qu’on pût trouver dans une face humaine.

— Que disiez-vous  ? demanda le peintre avec une tranquille courtoisie, comme s’il eût été habitué de tout temps à la présence de Constant. Il avait le séduisant accent russe.

— Je disais  : «  Ici, un parfait athéisme engendre le plus pur sentiment du divin.  »

— Vous possédez le secret des religions  : il était juste que vous veniez voir cette image.

Le petit peintre aux yeux pâles dit cela d’une voix égale, douce, avec une mélancolie où il n’y avait aucune amertume et une absence d’inquiétude qui n’engendrait pas l’indifférence.

Si vous êtes Russe, ajouta Constant, vous avez exprimé la pensée même de Dostoïevsky qui hésitait à croire dans l’insuffisant Dieu des chrétiens des derniers siècles mais qui avait le sens violent du divin.

Oui… mais nous autres Russes nous sommes ouverts à toute l’Asie.

Ce n’est pas seulement l’Asie qui a compris.

— En effet, mon tableau le dit.

C’est sans doute le sang slave de Nietzsche qui lui a permis de pousser le génie allemand jusqu’à ce point de délivrance des formes fatiguées de l’expression religieuse et philosophique.

Il y a de profondes affinités entre le génie germanique et le génie slave. Nous vivons ce que les Allemands ont pensé. Nous avons élevé notre tourment