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quelques pas en avant. Il était tenté de regarder de près une haute stèle de pierre surmontée d’un auvent qui se trouvait le long du cloître dans un renfoncement de la cloison de roseaux. Il dépassa un massif d’ajoncs habilement assemblés, sur lequel il comptait ensuite reporter son regard admiratif, et vint contempler sur la stèle une fresque qui représentait les dieux  : Bouddha avait à sa droite Osiris et Dionysos et à sa gauche le Christ et Athys. Il y avait en marge Orphée et Mahomet. Cela était peint dans une manière qui, à première vue, paraissait byzantine, mais qui, regardée de plus près, n’était nullement rigide  : les visages montraient une particularité tout à fait vivante et humaine. C’était sûrement des portraits  ; au sein du magnétisme généralisateur que composaient leurs poses hiératiques et leurs costumes archaïques, leurs visages prodiguaient une expression ardemment épisodique. Constant était profondément satisfait et enchanté de la façon magistrale dont l’artiste avait noué les contrastes de l’humain et de l’inhumain. Cette fresque livrait le sentiment même qu’il étreignait de plus en plus dans la vie  : «  Ici, un parfait athéisme engendre le plus pur sentiment du divin.  » Selon son habitude, il avait dit cela plus qu’à demi-voix.

Il se retourna par instinct et vit, debout, une palette au pouce, un pinceau à la main, un homme qui était un peu en arrière du massif d’ajoncs. Cet homme était petit, très maigre. Sa tête très chauve était passée au rasoir mais portait une petite barbe courte, blondasse et grisonnante. Il regardait