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à une entité intime et secrète qu’il supposait persister au cœur de ce peuple et que la chirurgie communiste devait libérer et faire resurgir.

Qu’y avait-il de plus différent que ce petit bourgeois provincial qu’était Préault, à la vision extrêmement étroite et précise, avec naturellement un élément d’imagination vague et perdue qui portait sur l’accomplissement de ce qui était pourtant le plus précis en lui, à savoir son but politique, et ce moine ultramontain qu’était Salis, fait d’éléments nationaux très particuliers mais contradictoires  ? Tandis que Préault ramenait tout à la France et pouvait s’accommoder de l’image courte qu’il avait des Anglais en pliant cette image à ses désirs français, au contraire Salis ne voyait dans la France qu’un moyen qui était celui qu’il avait sous la main, pour réaliser quelque chose qui en lui était autonome et isolé comme la manifestation la plus aiguë et la plus particulière de son «  moi  », mais qu’il croyait être une idée très générale survolant à la fois les individualités et les pays.

Constant lui demandait  :

— Qu’est-ce que c’est que la Russie pour toi  ? Es-tu sûr que ta conception de la Russie ne soit pas terriblement marquée par ta structure de breton-andalou-parisien  ? Tu n’as jamais été en Russie et tu es aussi loin d’un Russe que je le suis d’un Peau-Rouge.

— Tu n’es peut-être pas si différent d’un Peau-Rouge, répondait Salis  ; donc, est-ce que je suis si différent d’un Russe  ?