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avait des yeux verts et chez lui se précipitaient l’une vers l’autre la rêverie et l’obstination, la douceur et la fureur. Beaucoup ne croient que dans une seule idée qui remplace Dieu et qui comme Dieu s’oppose au monde. Maintenant, ils pensent croire dans la vie et, de fait, ils y aiment quelque chose qui, étant très limité, devient le prétexte d’une ascèse. Gabriel Salis avait de bonne heure quitté son père, pour punir celui-ci de l’avoir quitté autrefois et il avait erré entre Paris et Barcelone. Il avait eu des ennuis et avait connu la prison. Quand la guerre civile éclata en Espagne, il fut dedans jusqu’au cou. Quand elle finit, il s’en tira, se cacha en France. Éprouvé par les événements, il était devenu communiste. Ses chefs lui avaient assigné le nord-ouest de la France.

Constant avait deviné une bonne partie de tout cela avant que Salis ne lui en eût fait le récit succinct, prolongé par des éclats de confession très particuliers qui échappaient à son austérité d’ingénieur politique et à son mépris des considérations personnelles. Salis avait une horreur craintive pour la littérature qu’on a faite autour du communisme et il traitait les sursauts de son moi comme un moine aurait pu faire.

Il s’était aperçu qu’il aimait la France mais elle n’était pour lui qu’un moyen, et d’ailleurs il la méprisait. Il ne méprisait pas parmi les Français que les bourgeois, il méprisait aussi une bonne partie du peuple à cause des difficultés qu’il rencontrait à soulever la colère dans ce peuple et surtout à la maintenir par des allusions