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même, le moi précipité dans le soi, le monde abîmé dans ce point d’où il est issu et qui n’a rien à faire avec lui, Dieu à jamais étranger à Dieu. Dieu à jamais abolissant son nom. Constant dormait-il  ? Quelle différence entre l’ahurissement et l’extase  ? Quand Constant revint en esprit au marais, la femme et l’homme étaient partis.

Préault aimait d’autant plus la France qu’il la confondait avec son moi. Si Préault était étroit, la France aussi était étroite. Si Préault ignorait le monde… Mais est-ce que Préault et la France ignoraient le monde  ? Ils avaient vu l’un et l’autre un grand nombre de films américains et russes, et ils avaient suivi avec admiration les exploits des gangsters et des bolcheviks. Il y avait même dans leur esprit une concurrence, une bousculade, qui prouvait que cet esprit était fréquenté, entre les Américains et les bolcheviks. C’était une bousculade heureuse de gens qui sont au large et qui vont tous dans le même sens. Cette énorme affluence intérieure n’empêchait pas Préault de demeurer étriqué. Il était ouvert à des pensées étrangères, mais ces pensées demeuraient des mots d’ordre qui n’affectaient pas ses entrailles. Ses entrailles demeuraient imperméables. Il n’en était pas imprégné, pénétré, renouvelé. Les mots d’ordre qu’il appelait et accueillait pour l’action ne faisaient au fond qu’accroître son inaction intérieure. Au dehors, il faisait des gestes. Pour les mots d’ordre anglais,