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autre silhouette prévue. Cela fit une femme et un homme. Ils s’offraient aux regards de Constant, terriblement ingénus, terriblement livrés. S’il remuait, il causerait en eux ce qu’il y a de plus laid  : ce geste de honte qui dit soudain l’asservissement de l’homme à l’homme, cette rougeur, ce désordre du visage et des mains qui dit que l’homme est toujours coupable devant l’homme. Il ne pouvait pas remuer sans être entendu, car il était en plein dans les plantes grasses dont les racines étaient craquantes et il n’y a qu’au cinéma et dans les livres qu’une vie se déplace auprès d’une autre vie sans se déceler. Cette femme et cet homme étaient dans un charme, ils étaient pour le moment dans l’état de grâce, dans l’état gracieux. Ne pas jeter le désordre dans cet ordre fragile, attendre, cela ne durerait jamais bien longtemps. Un autre spectateur aurait apporté, certes, un élément de trouble secret, aurait fait une présence blessante et malveillante, une malédiction. Il aurait été la société qui sans cesse réclame son dû et, par exemple, considère comme des obscénités, beaucoup de gestes qui sans cesse échappent en toute innocence à l’individu qui sans cesse oublie cette société. Mais Constant ne sentait en lui aucun de ces venins  ; ces venins étaient dissous en lui depuis longtemps. Il n’était pas Constant, mais le monde. Le monde est le spectateur inévitable de ce qui se passe dans le monde. Il était là au même titre que le ciel et la touffe de joncs, la couche de sable qui se moulait à la double forme maintenant imprimée dans le sol. Il était le monde