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beaucoup plus dur. Il savait au moins qu’il n’était plus français et qu’il ne faisait plus semblant de l’être. Il savait au moins que son patriotisme n’était qu’un mot d’ordre. Il croyait que les Russes et lui se confondaient dans un type d’homme commun où le Russe se dépouillait tout autant que lui.

Préault, sans religion, aimait la France comme ses ancêtres avaient aimé Notre-Dame. Bien qu’il eût été élevé dans un milieu de gauche assez avancé, il ne l’avait pas ignorée avant la guerre de 1914  ; l’avait aimée violemment pendant cette guerre et depuis n’avait jamais tout à fait oublié son amour, à la différence de tant d’autres. Il répétait tout le temps ce nom et la familiarité de ce nom l’habitait. Pendant les années de paix bien qu’il eût senti autour de lui l’indifférence, la moquerie, la méfiance, il avait toujours conservé son amour, toutefois en le dissimulant un peu. Puis était venu le moment où il n’avait plus eu besoin de rien cacher, bien au contraire. Il avait vu les moqueurs, les blasphémateurs, les haineux et même les indifférents entrer tour à tour, au moins en paroles, dans sa passion. Il avait certes fallu pour cela que l’étranger donnât l’exemple  ; il avait fallu que les Russes, qui depuis la fin du siècle dernier tendaient peu à peu à remplacer les Allemands dans la vénération de la petite bourgeoisie intellectuelle à laquelle Préault appartenait, donnassent l’exemple. Lénine avait décidé que – comme lui-même qui sous les abstractions était si foncièrement, si charnellement, si orgueilleusement russe, autant